Secrets de terres : les gestes vignerons hérités du Haut-Languedoc et de la vallée de l’Orb

Du roc et du vent : une vigne façonnée par la tradition

La vallée de l’Orb et les flancs du Haut-Languedoc abritent des vignes accrochées à des paysages verticaux, là où les drailles croisent les murets de pierre sèche et où les toitures de tuiles rouges abritent encore bien des histoires. Ici, la viticulture n’est pas un simple métier, mais un langage : celui de gestes transmis, de parcelles « en escalier », et de cépages qui tutoient la mémoire paysanne.

Entre roches calcaires de la Serre, schistes du Faugérois et sables des terrasses, la mosaïque des terroirs façonne une viticulture qui résiste à l’oubli. Quelles sont ces techniques traditionnelles sauvegardées, invisibles au voyageur pressé, mais bien présentes dans la sève des ceps et l’âme des villages ?

Les cépages à l’ancienne : témoins vivants d’un patrimoine végétal

Si le Syrah et le Grenache dominent aujourd’hui l’appellation, des cépages anciens survivent, tels des poches de résistance botanique. Le Carignan, souvent méprisé ailleurs, est ici taillé « en gobelet » dans les plus vieilles vignes – un mode de conduite qui protège les grappes du soleil et du vent.

  • Aramon : Présent sur les plus vieilles parcelles, l’Aramon, cépage très productif et rustique, couvrait près de 50 % du vignoble languedocien à la fin du XIXe siècle (source : Vitisphere).
  • Alicante Bouschet : À chair colorée, ce cépage résistant à la sécheresse est souvent préservé dans les coupes destinées à la couleur et sert encore, parfois, à “teinter” certains vins locaux.
  • Terret Bourret et Terret Noir : Récemment remis à l’honneur par quelques familles, le Terret était il y a un siècle la première base des blancs locaux.

Ce maintien des cépages autochtones s’appuie sur la sélection massale, et non le clonage : chaque pied unique, parfois centenaire, est reproduit à partir de sarments prélevés dans la vigne, participant à la diversité génétique et à la résilience naturelle du vignoble.

Murets, restanques et capitelles : bâtir la vigne sur pierre sèche

Dans le Haut-Languedoc, chaque génération a patiemment construit son paysage. Les vignes épousent les pentes grâce aux restanques (terrasses étayées de murets de pierre sèche), permettant de cultiver sur des coteaux escarpés tout en retenant la terre et l’humidité, et en limitant l’érosion.

  • Le réseau de murs en pierre sèche, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2018, reste un savoir-faire vivant, transmis de parent à enfant ou par compagnonnage local (source : UNESCO).
  • Les capitelles, petites cabanes destinées à abriter l’outil ou le vigneron, marquent encore la frontière des parcelles ou la halte du travailleur.

Leur entretien et leur reconstruction, toujours à la main, mobilisent patience et minutie. Le recensement de la commune de Vieussan, par exemple, fait état de plus de 350 restanques et autant de murs de soutènement sur moins de 500 hectares (données communales, 2022).

Taille en gobelet et labours à bras : gestes intacts sur les coteaux

Les pentes raides du Haut-Languedoc n’ont jamais permis l’industrialisation massive. Sur les parcelles les plus anciennes, la taille reste en gobelet : quatre à six bras partis du tronc, aériens et robustes, protégeant la souche et limitant l’excès de rendement. Cette méthode :

  • Optimise l’ombre des feuilles sur les grappes, essentielles face au soleil du sud.
  • Favorise la longévité du pied (certaines vignes de Carignan à Babeau-Bouldoux ou Berlou dépassent les 110 ans).

Le labour à cheval – ou même “à bras” – répond encore à la nécessité d’éviter le tassement des sols, sur des restanques trop étroites pour une machine. Des viticulteurs tels que Jean de Préguillac (Prémian) ou les coopératives de Berlou perpétuent ces passages réguliers, souvent à la fresse (charrue légère, à traction animale).

  • En 2023, environ 8 % des domaines du secteur Berlou-Saint-Chinian continuent d’utiliser, au moins ponctuellement, le cheval (source : Chambre d’Agriculture de l’Hérault).

Les vendanges à l’ancienne : fête et force collective

La vendange manuelle, autrefois absolue nécessité, devient aujourd’hui un choix revendiqué. Elle permet de préserver l’intégrité des raisins (le transport en caissettes ajourées, dans des “manises” en osier selon les villages, limite l’écrasement des grappes) et surtout, réactive la solidarité paysanne.

  • Chaque automne, dans les hameaux du Haut-Languedoc, s’organisent des chantiers familiaux : pieds, seaux, rires, et parfois une cueillette nocturne pour profiter de la fraîcheur.
  • Le recours à des vendanges manuelles concerne près de 75 % des petites exploitations bio du Saint-Chinianais (source : Syndicat AOC Saint-Chinian).

Des fêtes locales, telles que la “Ban des vendanges” de Roquebrun, célèbrent chaque année la transmission de cette coutume, mêlant chants occitans et partage du premier jus.

Soin du sol : l’art d’écouter la terre

La tradition agricole de la vallée de l’Orb privilégie, depuis toujours, une approche économe de la fertilisation. L’usage des engrais verts (moutarde, vesce, féverole semées entre les rangs) introduit dès l’entre-deux-guerres persiste, même chez les plus anciens, pour restituer matière organique et structurer des sols parfois pauvres.

  • La jachère hivernale, dite “pour laisser reposer la parcelle”, faisait l’objet d’un roulement précis dans le registre cadastral ancien (archives départementales de l’Hérault).

Dans certains villages (comme Cazedarnes ou Les Aires), subsiste aussi la pratique du sarclage à la main, la terre étant « grattée » plusieurs fois par an pour limiter la montée des adventices sans usage excessif d’herbicides.

La préservation des haies, figuiers, amandiers et arbres isolés (les “générès”) forme un maillage vivant indispensable à la biodiversité, renforçant la résilience du vignoble aux canicules et orages estivaux.

Des outils à la main : patrimoine matériel et transmission

Dans les granges du Minervois ou de l’Orb, quelques instruments d’un autre âge sont encore utilisés :

  • Le coupe-ronce (ou « dalot ») pour ouvrir les drailles envahies.
  • Le sécateur forgé et, plus rare, la « serpe languedocienne », outil multi-usage parfois centenaire.
  • Les pressoirs à vis manuelle, dont certains, datés de 1880, sont remis en état pour les micro-cuvées "de famille".

Les ateliers de transmission (notamment à la Maison des Vins de Saint-Chinian ou lors des Journées du Patrimoine) organisent des démonstrations de taille, de montage de murets, et de greffage traditionnel, à destination de tous les curieux.

La parole et le geste : mémoire vivante et renouveau

La tradition ne s’écrit jamais seule : elle se dit, se montre, s’éprouve. La langue occitane perce encore dans le nom des outils ou des toponymes – “la Peirière”, “Lou Caïro”, “le Cazal”. Ici, chaque vendange est aussi une veillée. Les anciens transmettent à la jeunesse les anecdotes comme les tour-de-main, souvent sur le terrain, parfois autour d’un verre ou à la table du “café du Poulit”.

La création récente de l'Association des Vignerons du Haut-Languedoc illustre cette volonté de sauvegarder ces pratiques, en donnant un coup de projecteur sur les jeunes installations ou les retours à des techniques sans chimie (application de purins, retour de la traction animale, etc.).

Ode à la lenteur : vers une viticulture de trésor et d’avenir

Dans les vignobles du Haut-Languedoc et de la vallée de l’Orb, la tradition viticole n’est pas un obstacle à l’innovation : elle en est le socle. À chaque escalier de vigne, à chaque rang orné de pierres sèches, les gestes d’hier engendrent les saveurs et la résilience de demain — et offrent au voyageur attentif le parfum incomparable d’un pays où le temps s’étire, au rythme du vent du sud.

Pour prolonger la découverte, la Route des Vins du Languedoc convie chacun à s’arrêter, à écouter et à goûter cette histoire fertile tissée entre ciel et terre. Et à comprendre que, sur ces coteaux, chaque geste reste une promesse : celle d’un avenir enraciné, et toujours partagé.

  • Sources : Vitisphere, Chambre d’Agriculture de l’Hérault, Syndicat AOC Saint-Chinian, UNESCO, Archives départementales de l’Hérault, communes de Vieussan et Berlou.

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