Parmi les vignes de Vieussan : secrets et vertus de l’enherbement naturel

Vieussan : sombres cailloux, herbes libres et vents têtus

Niché au creux des premiers plis du Massif du Caroux, Vieussan s’accroche à la rive droite de l’Orb, avec ses terrasses en pierre sèche, ses mas cachés et ses parcelles disputées entre la garrigue et la vigne. Sur ces pentes, l’enherbement naturel (ou « enherbement spontané ») fait son retour sans bruit, affrontant les vieux mythes agricoles et la tentation du désherbant facile. Pourquoi, ici plus qu’ailleurs, certains vignerons préfèrent-ils laisser les herbes monter entre les ceps ? Que disent les racines fines du trèfle, l’ombre légère du plantain, sur l’avenir même du vin du pays ?

Patrimoine de cailloux et d’herbes folles

L’histoire viticole du Haut-Languedoc s’inscrit dans la survie sur des sols âpres, étagés et pauvres, modelés par le schiste et la salsepareille. Depuis le repli de la polyculture, le vin demeure un fil vivant, mais le défi du sol reste entier : la terre de Vieussan, émiettée par le temps, sèche vite, durcit aux premières chaleurs et réclame mille soins.

L’enherbement naturel, longtemps vu comme l’ennemi (le « mauvais herbage » qui « vole l’eau à la vigne »), essaime pourtant dans la vallée. Si le désherbage chimique dominait dans les années 1980s-2000s, la bascule amorcée il y a une quinzaine d’années redonne voix aux herbes autochtones. En 2021, selon la Chambre d’Agriculture de l’Hérault, près de 32% des surfaces viticoles du département étaient partiellement ou totalement enherbées, contre moins de 10% vingt ans plus tôt (SOURCE : Chambre Agri / Observatoire Viticulture).

Pourquoi les vignerons de Vieussan réhabilitent-ils l’enherbement naturel ?

Alliés invisibles contre l’érosion

Le Haut-Languedoc n’a rien d’un plat pays. Les pluies, quand elles surviennent – orages d’automne, rares averses de printemps – dévalent les pentes, lessivant la terre fine entre les ceps. Ici, l’enherbement naturel joue un rôle crucial :

  • Stabilisation des sols : Les racines des graminées et légumineuses fixent la terre, limitant la perte de 5 à 22 t/ha/an de sol qui peut toucher les rangs nus après un gros orage (source : IFV Occitanie).
  • Réduction du ruissellement : L’herbe freine l’eau, favorise l’infiltration et évite l’asphyxie des racines.

Résilience face aux sécheresses et chaleur

Depuis 2017, les vendanges précoces s’enchaînent, la pénurie d’eau guette. Là encore, l’enherbement, raisonné et maîtrisé, fait la différence :

  • Ombre légère et microclimat : Les herbes basses limitent l’évaporation directe, gardant parfois 2 à 3 °C de moins au contact du sol à midi, selon les relevés locaux (source : Syndicat AOC Saint-Chinian, 2022).
  • Profils racinaires : Les herbacées à enracinement superficiel consomment l’eau d’en haut, laissant le bénéfice de la réserve profonde à la vigne, qui puise plus bas.
  • Effet « compétition douce » : Étonnamment, la présence d’herbe ralentit la pousse exubérante de la vigne au printemps, limitant le risque de maladies cryptogamiques sous climat humide et renforçant la concentration des baies.

Refuges pour la biodiversité et auxiliaires naturels

Le sol enherbé n’est jamais uniforme : plantain, luzerne sauvage, pissenlit, céraiste s’y mêlent, formant en mars des tapis ponctués de bleuets et de moutardes des champs. Ce fouillis apparent abrite une biodiversité rarement soupçonnée :

  • Auxiliaires des vignerons : Coléoptères, pollinisateurs (abeilles, syrphes), araignées tissent leur toile et participent à la régulation naturelle des populations de ravageurs (vers de grappe, cicadelles vertes, etc.).
  • Diminution des traitements : Lorsque le couvert est bien maîtrisé, la pression de certains parasites (pyrale, eudémis) baisse : ainsi, plusieurs domaines de Vieussan ont pu diminuer de 30 à 40% les applications de produits phytosanitaires (sources croisées : témoignages de la Cave de Roquebrun, Terravitis, 2023).

Fertilisation douce et activation de la vie du sol

L’enherbement naturel n’est pas qu’un manteau vert : il nourrit, structure, protège :

  • Apport en matière organique : Fauchées en surface une à deux fois l’an, les herbes restituent azote, potassium, matière carbonée essentielle à l’activité biologique profonde. Cela se traduit par une hausse de la teneur en humus du sol, mesurée autour de +0,15%/an dans les essais locaux conduits sur 6 ans (source : IFV-Agroscope 2020-2022).
  • Stimulation de la microfaune : Vers de terre, cloportes, champignons et bactéries profitent du mulch végétal, favorisant la porosité du sol ainsi qu’une meilleure pénétration des racines de vigne.
  • Moindre recours aux engrais : Moins de 10 unités d’azote supplémentaire sont souvent suffisantes sur ces parcelles, contre 40 à 60 en conventionnel après passage du désherbant (chiffré par la Chambre d’Agriculture Aude-Hérault).

Entre transmission et défi technique : qui pratique l’enherbement naturel à Vieussan ?

À Vieussan, ce sont surtout des vignerons aux parcelles petites ou morcelées, sur pente, avec un œil sur la nouvelle génération : la transmission est un fil, du grand-père qui désherbait « à la main », à la fille ou au fils qui s’initient à la permaculture. Quelques noms se distinguent : le domaine Fonsalade (piémont), le Clos Rivieral, ou encore la coopérative des coteaux de l’Orb.

Plusieurs motivations sont revendiquées :

  • Pour certains, protéger le terroir : « On ne voudrait pas retrouver la terre de nos parents charriée dans l’Orb à la première crue » (témoignage de Lucie F., 2023).
  • Pour d’autres, réduire leur empreinte carbone : moins de passages de tracteur, moins de désherbant chimique, bilan environnemental allégé.
  • Certains, enfin, pour la beauté du vivant : « Voir éclore les orchidées sauvages au printemps, observer les pouillots véloces entre les rangs, ça nous rappelle pourquoi on fait ce métier » (Cécile R., vigneronne engagée en Biodynamie).

Quels défis ? Techniques de fauche et obstacles rencontrés

L’enherbement naturel n’est ni une absolution, ni une recette unique. À Vieussan, deux écueils apparaissent souvent :

  1. Le risque de concurrence hydrique excessive : Sur les années très sèches ou sur jeunes plantations, l’herbe doit parfois être « gérée à la main ». Fauchée avant la montée à graine, roulée ou pâturée par les brebis, elle doit rester compagne, non rivale.
  2. Problèmes mécaniques : Sur des pentes raides, la faucheuse passe difficilement, les passages sont plus longs, les coûts légèrement supérieurs. C’est un choix agricole exigeant : accepter de perdre du rendement pour gagner en durabilité.
  3. Pression des voisins ou débats locaux : Bien des anciens, ayant connu les parcelles « propres comme un jardin », restent dubitatifs. La discussion se fait autour du café du matin, sur la place du village ou lors des « caves ouvertes » du printemps.

Les plus créatifs composent avec les outils : enherbement alterné un rang sur deux, semis de fétuques ou trèfles pour densifier le tapis là où la landine (herbe locale résistante) tarde à s’installer, broyage tardif pour offrir un accès protégé à la faune sauvage.

Quels cépages supportent le mieux l’enherbement naturel ?

Les vignes de Vieussan sont un patchwork de cépages adaptés à la rudesse, avec une prédominance du Carignan et du Grenache noir sur schiste, du Cinsault sur les zones plus fraîches, et du Syrah sur les coteaux bien exposés. Le Mourvèdre est plus rare, mais gagne du terrain.

  • Carignan : Racines profondes, résistant bien à la concurrence herbacée. Apprécie l’enherbement, qui favorise des baies plus petites et plus concentrées, propices aux vins épicés et structurés.
  • Syrah : Moins tolérante sur les sols très secs, mais accepte un couvert partiel si le travail du sol reste superficiel.
  • Cinsault : Sensible à la concurrence en jeunesse, mais développe de belles qualités aromatiques sur vigne adulte avec un enherbement bien maîtrisé.
  • Grenache noir : S’adapte bien, surtout sur les sols filtrants, où l’herbe protège du coup de chaud estival.

Des essais menés sur le secteur de Berlou (source : IFV, 2018-2022) montrent une meilleure résilience du Carignan en enherbement face aux canicules, comparé à la Syrah qui marque le pas sur les sols très pauvres.

Paysages renouvelés et transmission : l’enherbement comme geste d’avenir

Dans la lumière rasante d’avril, les vignes menées en enherbement naturel à Vieussan offrent un spectacle discret : herbes hautes, butineurs affairés, effilochages d’orchidées, éclat silencieux d’un lièvre filant sur les restsancos. Cet enherbement n’est pas une fin, mais une promesse : rendre à la terre sa cohésion, à la vigne son caractère, aux vignerons la fierté d’un métier enraciné, plus qu’affichée.

La transmission se dessine : jeunes exploitants, domaines en bio ou en conversion, néo-vignerons attachés au territoire, tous interrogent la façon de cultiver avec la nature. À Vieussan, l’enherbement naturel s’impose ni par dogme, ni par mimétisme, mais par une intuition partagée que, pour faire les vins justes du Haut-Languedoc, il faut d’abord veiller à l’état du sol. Cette approche ressurgit aujourd’hui, mêlant savoir-faire d’hier et réalités d’un monde qui se réchauffe. L’enherbement redevient, humblement, le signe d’un respect retrouvé : celui des ressources vivantes des vallées du Sud.

Pour approfondir : références et témoignages

  • Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV Occitanie) : Fiches techniques sur l’enherbement, essais Hérisson Hérault 2020-2022, https://www.vignevin-occitanie.com/
  • Chambre d’Agriculture Hérault : Bulletin « Pratiques innovantes en viticulture », édition 2021.
  • Syndicat AOC Saint-Chinian : Observatoire climatique local, 2022.
  • Cave de Roquebrun, Terravitis : Suivi des couverts végétaux et retours d’expérience 2022-2023.
  • Témoignages directs : entretiens avec vignerons de Vieussan et alentours, printemps 2023.

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